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Les mots pour le dire / fail #9 : « Je te paye en points SACEM »


Le problème avec le droit, c’est qu’on en fait toujours sans le savoir, alors parfois, mieux vaut savoir qu’on en fait, ça évite bien des problèmes. Oui, cette phrase tourne sur elle-même, et c’est à l’image de ce qui vous attend si vous ne veillez pas un minimum à votre jargon. Parce que pour bien vous entendre avec vos partenaires, parler la même langue, c’est pas inutile.

« Je te paierai en points SACEM et on sera quittes ». Hum, pas forcément…

Voici une petite phrase apparement innocente que j’ai entendue récemment entre un producteur et un compositeur. Evidemment, si elle figure dans cette rubrique, c’est qu’elle pointe une ambiguïté, ou qu’elle pose un problème. Ici, un producteur avait sollicité un compositeur extérieur pour finaliser l’écriture d’un morceau en cours. Le souci était qu’il n’avait pas les moyens de le rémunérer pour ce travail d’écriture. Il lui proposait donc de négocier une meilleure part sur les droits d’auteur qu’il pourrait percevoir de la SACEM. Une façon selon lui, de faire une opération équitable dans le temps.

En réalité, c’est un peu vite dit. Pour le compositeur sollicité, il peut s’agir d’un excellent deal, comme d’une belle entourloupe. Tout dépend du degré de confiance entre les partenaires, et surtout d’évenements complètement extérieurs à leur relation. Explications.

Dans un 1er temps, le compositeur effectue un travail d’écriture ou d’arrangement. Il est rémunéré pour ce travail en fonction du temps qu’il y consacre, des moyens qu’il met à disposition, éventuellement de sa notoriété, etc. Le producteur le rémunère donc pour ce strict apport à l’oeuvre, quel que soit le destin de celle-ci par la suite. Que le morceau reste dans les cartons du producteur, ou qu’il cartonne auprès du public, immédiatement ou quelques années après sa sortie. Dans ce cas de figure, la rémunération du compositeur n’est pas conditionnée par l’exploitation de l’œuvre. Il y a donc un lien direct, prévu, et rapide entre la rémunération perçue (le salaire) et le travail effectué par le compositeur.

Dans un 2ème temps, l’oeuvre vit sa vie en rencontrant le public (enregistrement, vente de disques, diffusions, concerts, synchros, etc). Et suite à son dépôt à la SACEM, le circuit des droits est activé, la gestion collective des droits se met à fonctionner, et une rémunération peut être générée pour les auteurs et compositeurs. Dans ce cas de figure, la rémunération du compositeur est conditionnée par l’exploitation de l’oeuvre, et elle dépend donc de l’ampleur de sa diffusion, de l’accueil réservé par le public, des goûts et des couleurs, etc. Il y a donc un lien indirect, imprévisible, et différé dans le temps entre la rémunération perçue (les droits) et le travail effectué par le compositeur.

En mettant ces 2 étapes en parallèle, on comprend qu’on parle de 2 types de rémunérations différentes (salaire/droits), qui se font en 2 temps (lors de l’écriture/des années après), et avec 2 payeurs différents (le producteur/la SACEM qui collecte les diffuseurs). En clair, si le producteur propose de « rémunérer » le compositeur en lui promettant une meilleure part de droits sur l’oeuvre, c’est un peu hasardeux, puisqu’il compte sur la SACEM pour le faire à sa place, et qu’il compte sur le public et les diffuseurs pour que les droits finissent par atteindre le salaire qu’il devrait lui verser… Il faut bien garder à l’esprit que la SACEM rémunère les auteurs et compositeurs sur l’exploitation de leur travail, ce n’est pas une rémunération pour que ce travail soit réalisé. Si le compositeur n’a pas clairement ce schéma en tête, alors il risque d’y avoir entourloupe et que la situation soit très injuste pour lui, puisque cela revient à travailler pour une rémunération indirecte et surtout incertaine.

Cependant, il ne faut pas noircir le tableau et voir le mal partout: Il peut aussi s’agir d’une bonne opération pour le compositeur lorsque que le producteur n’est pas en mesure de tout financer à un instant T. On peut tout à fait imaginer que l’oeuvre connaisse une exploitation largement suffisante pour compenser un salaire manquant ou très faible. Si le succès est au rendez-vous, 5% de plus sur une déclaration SACEM peuvent être dans certains cas largement suffisants. C’est un risque qui peut être pris (et il l’est souvent), mais l’essentiel est que la collaboration se fasse avec une parfaite information et dans un climat de confiance mutuelle.

Moralité : 

Ne perdez pas de vue le rôle réel de la gestion collective, et évitez de faire jouer à la SACEM un rôle qui n’est pas le sien. Ou, si on vous « invite » à le faire, faites le en pleine connaissance de cause!

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Les mots pour le dire / fail #2: « Officiellement producteur »
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