Il y a toujours des dates clés dans le calendrier d’un musicien ou d’un producteur: Les dates de concerts, les dates de sorties d’albums, mais aussi celles des répartitions de ses droits. Aussi régulières que les (premières) saisons de Game of Thrones, les répartitions viennent de plus en plus rythmer l’année de ceux qui vivent de la musique. Il faut dire qu’en ces temps troublés et frisquets sur le marché du disque, il fait bon se réchauffer le cœur auprès de quelques valeurs sûres. En effet, si les ventes s’effondrent, et alors que le streaming peine encore à les remplacer, le circuit des droits d’auteurs et des droits voisins, lui, reste bien solide. A tel point que la gestion collective des droits devient chaque année un peu plus qu’une cerise sur le cookie.
SACEM, SACD, ADAMI, SPEDIDAM, SCPP, SPPF, SPRE… vous vous perdez avec ces âcres acronymes? Voici de quoi vous éclairer! Mais avant d’observer le circuit des droits dans le détail, quelques explications s’imposent! Et oui, difficile de comprendre le destin de Jon Snow qui knows nothing, sans parler de Westeros, du Mur, et de l’hiver qui arrive. Ça n’aurait pas trop de sens. Et bien ici, c’est pareil.
Pourquoi une gestion collective?
La nécessité d’une gestion collective est assez simple comprendre: C’est du pur pragmatisme. Comme on l’avait vu ici, le créateur a un droit de propriété sur sa création, qui est opposable à tous. Cela signifie qu’il a le droit d’autoriser ou d’interdire tout accès ou toute utilisation de sa création par des tiers. Malgré tout, les créations sont faites pour être partagées, la musique pour être écoutée, et faire ainsi profiter le monde d’un peu de culture, de savoir, et de beauté (surtout quand on a les chevilles de Kanye West). La volonté du créateur a donc pour vocation de rencontrer un jour celle du public. Mais pas n’importe comment et pas à n’importe quel prix, puisque tout créateur reste maître de sa création et de la façon dont il la délivre au public.
Ramenons cette logique dans le monde concret. Au milieu des disques, des radios, des concerts, et des réseaux sociaux. Comment un créateur pourrait-il se mettre en rapport avec tous les usagers potentiels de sa création? Et comment pourrait-il leur donner ou leur refuser l’autorisation d’en profiter? C’est parfaitement impossible. Plus concrètement, on imagine mal comment un compositeur pourrait signer des contrats avec toutes les stations de radios qui voudraient le diffuser, ou avec tous les cafés, boutiques, ou restos qui voudraient faire chalouper leur clientèle avec son dernier tube. De même, un DJ ou un animateur radio ne pourraient pas faire leurs nobles métiers s’ils devaient sans cesse demander l’autorisation de diffuser à tous les ayants-droit concernés.
Il faut donc un intermédiaire entre les créateurs et les usagers: Une ou plusieurs structures spécialisées qui représentent des créateurs, délivrent des autorisations pour leur compte, et se chargent de collecter les redevances pour les répartir sous forme de rémunérations auprès de chaque ayant-droit concerné. Et bien c’est exactement le rôle de la gestion collective. Les organismes de gestion collective sont en fait des interfaces entre les intérêts de la collectivité et les intérêts personnels des créateurs. Ils rendent ainsi possible et fructueuse la rencontre entre la volonté du public et celles des créateurs. Parce que l’art, les gens, l’argent, c’est quand même ce qui compte dans ce game.
Des organismes particuliers
On les appelle les Organismes de Gestion collective, OGC pour les intimes (et parfois encore appelées SPRD, Sociétés de Perception et de Répartition des Droits). La particularité des OGC est qu’il s’agit de sociétés civiles, créées par et pour leurs représentants. Le principe est donc celui de l’autogestion: Les auteurs, les compositeurs, et les éditeurs de musique se sont réunis en fondant la SACEM, les producteurs la SPPF et la SCPP, et les interprètes l’ADAMI et la SPEDIDAM. Le but de ces sociétés est donc de mutualiser les moyens de gestion pour que chaque ayant-droit perçoive ce qui lui revient, le plus précisément possible. La perception auprès des usagers est donc collective, mais la répartition est parfaitement individuelle.
A ces sociétés issues de familles d’ayants-droit, s’ajoutent d’autres sociétés, au rôle plus technique. Elles sont beaucoup moins connues du public, mais facilitent le travail des autres dans la collecte des droits. On peut citer la SPRE (qui collecte notamment les droits payés par les radios pour le compte de 4 autres sociétés), ou encore COPIE FRANCE (qui collecte la copie privée payée par les fabricants de supports vierges).
C’est le moment de tordre le cou à deux idées reçues: Non, les OGC ne sont pas des sociétés commerciales. Et non, ils ne dépendent pas non plus du Ministère des finances ou de l’Intérieur (puisque les droits d’auteurs ne sont pas des impôts, mais une redevance). Cependant, comme ils exercent des missions reconnues d’intérêt public, un contrôle de leurs comptes et de leurs activités est opéré par la Cour des Comptes et le ministère de la Culture.
Quels droits sont gérés collectivement?
Vous l’avez remarqué, on parle toujours des droits, au pluriel. Parce que les droits c’est des sous, mais surtout parce qu’il existe différentes façons de consommer de la musique, différents usages. Et à chaque type d’usage correspond un type de droit. On a ainsi le droit d’interprétation (musiciens jouant une œuvre en concert), le droit d’exécution publique (quand une chanson passe en radio, l’œuvre et le phonogramme sont exploités), le droit de reproduction mécanique (lors d’un pressage de disque, ici aussi l’œuvre et le phono sont exploités), le droit de synchronisation (quand un monteur intègre un morceau pour sonoriser un spot de pub), etc.
Pour les OGC, certains de ces droits seront plus faciles à gérer collectivement que d’autres. Qui dit gestion collective dit traitement commun pour tous les ayants-droit. Ce qui signifie que tout le monde est logé à la même enseigne, quels que soient sa notoriété, son ancienneté, ou son mérite supposé. Ainsi, si votre dernier tube passe sur Nova, il sera traité exactement de la même manière que s’il s’agissait d’un vieux Prince ou du nouveau carton électro de Bambi Bambi Yeah Yeah. Le diffuseur appliquera la même procédure d’autorisation, paiera les mêmes sommes à la SACEM et à la SPRE, et les droits ainsi collectés seront partagés entre les ayants-droit selon les mêmes règles.
En revanche, certains droits ne peuvent pas être gérés collectivement. Il s’agit de droits pour lesquels le principe d’égalité de traitement ne peut pas jouer. C’est le cas du droit de synchro: Si une marque de parfum choisit un morceau à la mode pour illustrer sa prochaine campagne télé, ce morceau aura pour elle une certaine valeur subjective, propre à ce contexte très précis, et pas à un autre. Il est normal que la gestion de ce droit échappe aux OGC, puisqu’ils n’ont pas vocation à travailler au cas par cas. Dans cette situation, les ayants-droit gèreront eux-mêmes directement ce type de droits.
Visualisons tout ça maintenant
Voilà, maintenant que vous en savez plus sur la gestion collective, sa raison d’être, ses sociétés, et ce qu’elles gèrent, vous êtes fin prêts à découvrir la carte du continent Musique. Pas de panique, c’est presque moins compliqué que la carte de Game of Thrones. Il en existe très peu sur le net, et elles n’en offrent qu’une vue partielle. Alors avec mon acolyte Vincent Benoit, qui s’intéresse à la datavisualisation, on vous a concocté un beau diagramme de Sankey de la répartition des droits musicaux. On l’a voulu le plus lisible et le plus complet possible pour vous. Certaines particularités propres à la gestion inter-sociétés ont dû être écartées pour plus de clarté. Tout comme le circuit des aides à la création, financé par une partie des flux de ce diagramme, mais qui est un peu hors-sujet, et qui pourrait faire l’objet à lui seul d’un article entier. Nous avons donc fait apparaitre les connexions essentielles entre tous ces acteurs, et ce qui vous concerne réellement. Je pense que ce nouvel outil vous donnera une bonne représentation du circuit des droits musicaux en France et de leur gestion collective.
Comme on est précis, on a tenu compte des montants collectés et répartis par ces organismes pour représenter les flux. Leurs tailles sont donc proportionnelles aux chiffres publiés dans leurs derniers rapports d’activités. Tous ces chiffres ont été très difficiles à croiser du fait des réalités comptables qui échappent au grand public, des différences de vocabulaire entre les organismes, et des regroupements de certains flux dans les présentations. Il a donc fallu retrouver une cohérence et accepter qu’il y ait une certaine part d’approximation visuelle. Comme me l’a répété Vincent, « on ne peut pas tout représenter ». Mais comme on est aussi des esthètes, on vous a dessiné tout ça avec des couleurs modernes et sexys.
Ce diagramme est interactif, vous pouvez donc « allumer » les flux à partir de n’importe quel point. Que gère l’ADAMI ou la SCPP? Vous le verrez en un clic. A quoi sert la SPRE? Vous pourrez le lire. Si vous êtes auteur compositeur, vous pourrez aussi visualiser les sources potentielles de vos droits. Si vous avez un bar ou un restaurant, vous comprendrez où vont les droits que vous payez. Et si votre dernier tube passe à la radio, vous verrez quels chemins parcourent vos droits pour arriver jusqu’à vous.
(NDR : L’animation du diagramme est actuellement off, mais nous travaillons à la réactiver. En attendant, voici donc une version figée)
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© Vincent BENOIT pour lost-in-production.fr, tous droits réservés
Sources:
Rapports d’activités: SACEM 2015, SACD 2015, SCAM 2015, ADAMI 2015, SCPP 2015, SPPF 2015, Copie France 2015 / Publication par la SPRE des montants gérés par secteur de droits, publication par la PROCIREP des principaux indicateurs d’activités / Rapport annuel de la Commission Permanente de contrôle des SPRD, avril 2016 / Règles légales de partage: Art. L214-1 du CPI et L311-7 du CPI.
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