On a vu dans l’article précédent que la protection d’une œuvre implique l’établissement de la filiation avec son auteur. Pour établir la preuve qu’une œuvre existe à une date donnée, et que vous en êtes l’auteur, plusieurs méthodes existent. Celles-ci s’avèrent plus ou moins fiables et efficaces. Attention, gardons bien à l’esprit qu’il s’agit là de se créer une preuve de filiation, qui trouvera son utilité dans le cadre de son exploitation ou d’un litige sur sa paternité. Voyons ça de plus près. On va parler des Bogdanov, de votre facteur, et de l’an 2000.
La forme et l’originalité
Commençons par un rappel important:
– Pour qu’une œuvre existe il faut lui donner une forme. En soi, l’œuvre n’en a pas, puisqu’elle est incorporelle. Comme on dit dans le jargon il faut donc « la fixer sur un support » (en écrire la partition ou le texte, en faire un enregistrement sonore). C’est la condition indispensable pour qu’elle puisse être communiquée à un public, et protégée, défendue en cas de contrefaçon. Ça vous semble évident? Ça l’est, mais n’oubliez pas que la forme que vous lui donnerez constituera une limite de votre protection. Si cette forme est incomplète (oubli d’un couplet) ou si elle est imprécise (votre chanteur a une diction épouvantable, vous avez enregistré sur dictaphone, et vous n’avez pas joint de texte), alors votre œuvre sera moins bien protégée.
– Votre œuvre doit être originale, c’est à dire empreinte de la personnalité de son auteur. Elle doit être le reflet de sa pensée personnelle. Ceci coule de source, sinon vous vous apprêteriez à tenter de protéger une contrefaçon. Mais sachez qu’en toute bonne foi, il est probable que votre création soit très proche d’une autre création préexistante, dont vous n’avez peut-être pas connaissance. Quand on sait que le répertoire de la seule Sacem réunit pas moins de 5 millions d’œuvres, pas besoin d’être le frère caché des Bogdanov pour imaginer qu’en toute logique quantique, votre enfant musical a peut-être déjà un lointain jumeau. Il est donc essentiel d’être précis lorsque vous lui donnerez une forme pour mieux faire apparaitre son originalité. C’est ce travail qui différenciera votre œuvre d’une autre, même aux contours ressemblants. Malgré les fabuleux progrès de la science en neurologie et en marketing, la télépathie n’en est encore qu’à ses balbutiements. Et les simples idées ne peuvent pas être protégées. A vous donc de donner à votre œuvre la forme qui déterminera une paternité la plus incontestable possible.
Six méthodes de protection
Votre œuvre est originale? Vous lui avez donné une forme tangible? Tel Gollum et son Précieux dans le fond du Mordor, vous voulez qu’elle soit vôtre et que personne ne s’en empare? Alors vous êtes prêts à vous préconstituer la preuve qu’elle bien à vous. Passons en revue les solutions avec leurs avantages et leurs inconvénients.
1- Le dépôt chez un notaire ou un huissier
Le notaire et l’huissier peuvent enregistrer et conserver vos œuvres par un acte authentique. Dans ce cas la signature de l’officier fera foi du contenu et de la date du dépôt. Cette solution est fiable et offre une protection reconnue internationalement. Mais elle a le défaut de son coût prohibitif (comptez 200 à 300€) et surtout elle ne garantit en rien l’originalité de votre création. L’officier prouvera simplement que vous lui avez remis un certain document à une certaine date. C’est pas mal, c’est sérieux, mais il y a mieux.
2- La RAR à soi-même
Simple comme une lettre à la Poste! La solution consiste à s’envoyer une lettre recommandée avec accusé de réception, contenant votre description de l’œuvre. Comme chez le notaire, toutes les formes sont admises. La date faisant foi sera celle du cachet de la poste. Cela implique que le pli ne doit être ouvert qu’au moment où on va en avoir besoin, c’est à dire au cours d’une procédure judiciaire. Pour éviter toute ambiguïté sur la date, il convient de coller le bordereau du recommandé sur le rabat de l’enveloppe, afin de préserver l’intégrité du pli. Voilà une méthode facile, rapide et non limitée dans le temps. Cependant, cette preuve ne vaut qu’au moment où on l’utilise dans le cadre d’un litige. Et sachez que cette protection n’est pas toujours reconnue par les tribunaux, surtout dans un litige international. La raison est simple: Avec cette technique c’est l’enveloppe qui est datée et pas son contenu.
3- L’enveloppe Soleau
Il s’agit d’une enveloppe constituée de 2 compartiments servant à accueillir 2 exemplaires de la description de votre œuvre. Attention, on ne le dit pas assez, mais seule une fixation sur support papier est acceptée, puisque le marquage du dépôt se fait par perforation laser. Ainsi pour la musique, seuls le texte et les partitions pourront être conservés, pas les supports informatiques. Cette double enveloppe est à renvoyer à l’INPI qui en conservera un volet, et vous renverra l’autre perforé et certifié, qu’il faudra conserver cacheté. La protection dure 5 ans, renouvelables une fois. Cette solution a l’avantage d’être simple, reconnue, et relativement peu coûteuse (15€). Mais elle est limitée par la forme papier et elle n’offre qu’une garantie de datation, pas d’originalité.
Voir sur le site de l’INPI
4 – Le dépôt au SNAC
Le Snac est un syndicat qui propose un service de dépôt d’œuvres permettant de créer une antériorité. Les formes papier sont acceptées, ainsi que les formes numériques. Cette méthode peut être très utile lorsqu’on ne remplit pas (encore) les conditions d’adhésion à la Sacem, (justifier de 5 œuvres dont une au moins ayant un début d’exploitation). Ce dépôt coûte 35€ et se fait en dehors de l’adhésion au Snac (qui offre d’autres services) et permet de déposer pour 5 ans au maximum soit:
– 1 à 8 textes courts (poèmes, paroles de chanson, sketches, synopsis, etc.),
– 1 à 4 chansons (paroles et musiques),
– 1 à 4 compositions musicales ou arrangements de compositions musicales.
Le dépôt s’établit en double exemplaire, l’un est conservé par le Snac et l’autre est rendu au déposant après avoir été tamponné. Ce type de dépôt est intéressant par sa fiabilité, les types de formes acceptées, sa reconnaissance au niveau national. Mais son coût est relativement élevé et là encore, il n’y a aucune publicité du dépôt, seul le déposant et un huissier mandaté par un juge y auront accès.
snac.fr
5- Le dépôt électronique dans un service de référencement
Avec le développement de la signature électronique depuis 2000, plusieurs sites de référencement des créations ont vu le jour, et proposent d’uploader vos œuvres sous forme numérique, de produire une empreinte électronique et une certification par huissier. Ces services sont dans l’air du temps, fiables, peu onéreux, et offrent une date certaine.
e-dpo.com
copyrightfrance.com
depotnumerique.com
mapreuve.com
6- Le dépôt dans une société de gestion
C’est la solution que je préconise. Pas seulement du fait du mon métier, mais parce qu’un dépôt à la Sacem est de loin la protection la plus efficace: Elle est fiable, publique, reconnue internationalement, accepte les formes papier et numériques, peu onéreuse (voire gratuite quand on est déjà sociétaire). Mais la différence essentielle avec toutes les autres est qu’elle peut être lucrative. C’est d’ailleurs la vocation première d’une société de gestion collective. C’est le seul moyen pour protéger ses œuvres ET percevoir ses droits.
sacem.fr
Commentaires
Daphné
AuteurBonjour Nicolas,
Deux petites précisions :
1/ Il existe à présent une version électronique de l’enveloppe Soleau qui permet de dater des fichiers, y compris fichiers son
2/ Aucun dépôt ne permet de garantir l’originalité d’une œuvre ; seul le juge pour se pencher sur la question le moment venu.
Merci pour ce site et bonne journée 🙂
Nicolas Garnier
AuteurMerci Daphné pour cette précision sur l’enveloppe Soleau, je comptais faire une maj de cet article, vous m’avez devancé 🙂
Quant à l’originalité et le dépôt, je suis tout à fait d’accord à vous! C’est justement ce que je rappelle en introduction: Le dépôt crée une preuve de paternité (plus ou moins forte), un antécédent à faire valoir plus tard, mais pas une preuve d’originalité.
Bonne lecture sur le blog!
Lucas
AuteurBonjour Nicolas,
Tout d’abord, merci pour ton site, ça aide vraiment à s’y retrouver, c’est fun et bien écrit!
J’ai une question concernant la SACEM, car je souhaiterais m’y inscrire pour protéger mes premiers morceaux.
J’ai pu lire sur un autre site que l’adhérent s’interdit de conclure avec un tiers une convention portant sur les droits dont il a confié la gestion à la SACEM. Cela signifie qu’il ne peut plus, après avoir adhéré, fixer les conditions financières d’exploitation de ses œuvres, y compris lorsqu’il veut accorder cette autorisation à titre gracieux…Cela signifie qu’il faut réfléchir à deux fois avant de mettre les morceaux sur un site Web, qu’il soit communautaire ou personnel : la SACEM serait alors en droit d’exiger une redevance.
Cela s’applique seulement aux morceaux? C’est un peu flou pour moi, pourrais-tu me donner un cas concret? Par exemple, mon morceau est déjà présent sur les plateformes de streaming, je m’inscrit à la SACEM, qu’est ce que je ne peux plus faire?
Si je créé un clip vidéo d’une musique et je que je le poste ensuite sur youtube, je dois le déclarer également à la SACEM?
Et si je choisis de vendre des produits dérivés comme des tablatures de mes morceaux, à travers une plateforme de financement participatif, est-ce que cela pose problème?
Merci d’avance pour ta réponse et bonne continuation!
Nicolas Garnier
AuteurBonjour Lucas et merci pour ton appréciation!
Effectivement quand tu adhères à la SACEM (et je t’encourage à le faire) tu acceptes qu’elle collecte et qu’elle répartisse pour toi les droits de reproduction et de diffusion liés à tes oeuvres. Et elle le fait auprès des diffuseurs et exploitants selon ses méthodes et ses tarifs (qui sont décidés au global pour l’ensemble des auteurs, pour que ça profite à tous, et le plus possible). Tu la mandates pour ça. Par ex, pour un passage radio, si tu es membre SACEM tu ne peux pas demander à la radio de te verser tes droits d’auteur directement. Ça devra passer par la SACEM, puisque tu l’as mandatée pour ça.
Mais ça ne t’empêche pas de commercialiser ou diffuser tes oeuvres comme tu le souhaites. C’est toujours toi qui décides. Mais les diffuseurs payent des redevances à la SACEM pour ces diffusions. Par ex : Si tu es membre SACEM et que tes enregistrements sont diffusés sur Spotify, sur Deezer, ou dans un concert, alors Spotify, Deezer, et l’organisateur du concert payent des redevances à la SACEM, et la SACEM te repartit les droits qui te reviennent.
Concernant le clip, oui tu peux le déposer aussi, si tu as adhéré en tant qu’auteur réalisateur. Et Youtube, en tant que diffuseur, paye des droits d’auteur à la SACEM. Mais même sans déposer le clip, tu peux percevoir des droits puisque la vidéo « contient » l’oeuvre musicale. Quand une vidéo (clip ou autre) est diffusée, l’oeuvre intégrée l’est aussi.
Concernant les produits dérivés de type partitions, il s’agit d’une reproduction graphique de l’oeuvre. L’oeuvre est exploitée. Donc oui, celui qui vend la partition doit payer des droits d’auteur, qui sont donc collectés puis répartis aux créateurs.
J’espère que ça t’aidera à y voir plus clair!