Et voilà, une fois de plus… Si le droit d’auteur n’a jamais été un sujet débattu dans les campagnes présidentielles, celles-ci parviennent presque systématiquement à le mettre sur le devant de la scène, malgré elles. Et c’est Eric Zemmour qui s’y colle cette année, dans une prestation très remarquée puisque son clip de campagne diffusé le 30 novembre dernier renferme une bonne centaine d’emprunts de tous genres audiovisuels, montés sans l’autorisation des ayants-droit. Parmi ceux-ci, les sociétés Gaumont et Europacorp, les réalisateurs Luc Besson et François Ozon, et la SACD, qui l’ont rapidement assigné en contrefaçon du droit d’auteur. « Je ne m’occupe pas des querelles de juristes » a répondu l’intéressé sur TF1, nous prouvant en une seule phrase que, s’il se dit fan du Général de Gaulle, il l’est tout autant de Ponce Pilate. Mais comme l’arrogance ne suffit pas à avoir les mains propres, l’audience s’est tenue le 27 janvier, et le verdict est tombé le 4 mars 2022. Bilan (1): Condamnation en contrefaçon, interdiction de diffusion du clip avec les extraits litigieux, et 5 000€ de dommages-intérêts pour chacun des 10 ayants-droit, en plus des frais de procédure. Une bourde à 70 000 € pour Eric Zemmour et son parti.
La courte citation rejetée
Si le candidat semblait aussi sûr de lui devant Gilles Bouleau à TF1, c’est qu’il fondait sa défense sur la liberté d’expression et sur une exception classique du droit d’auteur, l’exception de courte citation. Une justification très facile à avancer, mais très difficile à faire valoir dans son cas. En effet, si l’on relit l’article L.122-5 3° du code la propriété intellectuelle: « L’auteur ne peut interdire (…) sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source (…) les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ». Eric Zemmour n’ayant pas pris la peine de mentionner correctement ni intégralement les sources de ses emprunts, ni de créditer les auteurs, on voit assez mal comment un juge aurait pu passer outre cette obligation et conclure à la courte citation.
On peut aussi se demander si l’exception de courte citation peut s’appliquer dans le contexte d’un clip de campagne, qui est par nature conçu dans une optique politique, critique et polémique, mais qui a aussi, et très nettement, une visée publicitaire et promotionnelle. Et c’est aussi ce qui pose problème ici: Dans ce clip de campagne, les œuvres ont été utilisées pour illustrer visuellement les propos politiques d’Eric Zemmour, et pas pour être discutées en tant que telles. Comme l’expliquent les juges, « le discours prononcé, (…) n’entretient aucun « dialogue » avec les extraits d’oeuvres en cause » (1). En clair: Emprunter un extrait de « Jeanne d’Arc » pour détailler une analyse du film, ou débattre des qualités de réalisateur de Luc Besson, pas de problème. Emprunter ce même extrait pour enjoliver un discours sur la France et faire la promotion d’un parti politique et d’un candidat, c’est non.
Le droit moral froissé
Derrière ces protections, il y a une composante essentielle du droit d’auteur qui n’a pas été respectée, c’est le droit moral. Ce droit existe du fait de l’étroite relation existant entre l’auteur et sa création, et donne à l’auteur le droit de faire respecter son nom et l’intégrité de son oeuvre. Particulièrement fort dans le système juridique français, il est perpétuel, inaliénable, et imprescriptible. C’est à dire que le droit moral d’un auteur doit être respecté dans tous les cas de figure: Par exemple, même si l’oeuvre est gérée par la SACEM, même si l’auteur est mort, et même si son oeuvre est tombée dans le domaine public. Des héritiers d’un auteur peuvent donc parfaitement agir pour faire respecter le droit moral de leur aïeul.
On comprend bien qu’un clip de campagne électoral constitue un terrain culturel très particulier: Les orientations politiques, les analyses de la société, et la personnalité du candidat sont clivants par nature. Il faudrait être bien naïf pour penser qu’on peut intégrer une oeuvre dans un tel contexte sans créer la moindre friction. En l’occurence, on peut dire qu’Eric Zemmour a fait fort, tant par le nombre d’auteurs indignés, que par la radicalité de ses positions politiques qu’il est venu accoler à ces oeuvres.
Ce qu’aurait dû faire l’équipe de ce candidat, et ce que doit faire toute personne qui utilise une oeuvre pour l’intégrer dans une autre, c’était demander une autorisation écrite aux ayants-droit. Sans cette étape préalable, l’utilisation avait toutes les chances d’être qualifiée de contrefaçon par le juge, et de donner lieu à une condamnation à dommages intérêts.
L’importance du rôle de la musique
Ce n’est évidement pas la première fois que des auteurs ont été malmenés par des politiques via leurs clips de campagne ou pour sonoriser leurs meetings… On se souvient de Daft Punk et les meetings de Jacques Chirac en 2002 (2), Cali et ceux de Laurent Fabius en 2006 (3), MGMT et des vidéos de l’UMP en 2009 (4), M83 et une vidéo du Front National en 2012 (5)…
On sait à quel point la musique peut être essentielle pour aider à faire passer un message et provoquer une adhésion. En mettant l’auditeur dans un certain état de pensée, elle accroche l’attention, souligne le message, renforce le discours. Les monteurs vidéo le savent bien. Même logique pour les lieux publics, que ce soit pour un commerce, un restaurant ou un meeting, la musique aide à attirer, fidéliser, ou segmenter une clientèle, elle réconforte aussi les clients des grandes surfaces un peu austères, elle renforce aussi la cohésion de groupe. C’est un véhicule émotionnel très puissant.
Son choix n’est donc jamais anodin, surtout dans une vidéo de campagne présidentielle, ou chaque mot est pesé, où le discours est parfaitement maitrisé. Mais en donnant au public la fausse impression que l’auteur, le compositeur, ou l’interprète approuvent la cause ou les idéaux défendus par le candidat ou son parti, les politiques détournent les créations et ne respectent pas le droit d’auteur. Et ils ne se sortent jamais grandis de ces fourberies. Parce qu’entre une méconnaissance du droit ou un jemenfoutisme assumé, on peine à juger lequel est le moins pire…
(1) Next Impact, 04/04/2022.
(2) Le Monde, 11/12/2021.
(3) Libération, 27/06/2006.
(4) Le JDD, 28/04/2009.
(5) Le Huffington Post, 11/04/2012.
(Photo haut de page: Isa Harsin, agence presse SIPA)
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