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Protéger son œuvre, qu’est-ce que ça veut dire?


Il en va des œuvres de l’esprit comme des nouveau-nés: Aussi mignons et désirés qu’ils soient, ou aussi bruyants et épuisants qu’ils puissent devenir, ils méritent tous une protection. Le droit d’auteur, loin des considérations esthétiques, protège toutes les œuvres pourvu qu’elles soient originales. Votre première chanson était peut-être pleine de maladresses, elle vous rappelle des souvenirs d’ado mal peigné, elle est pourtant reconnue en tant qu’œuvre, et protégée par le droit. Mais qu’entend-on exactement par « protégée« ? De quoi parle-t-on réellement? Beaucoup de musiciens s’emmêlent les pinceaux pour répondre à cette question, alors faisons le point. On va parler de western, des forces du mal, et de Lady Gaga.

Protection double couche

Une des croyances les plus répandues est qu’il faut un acte pour qu’une œuvre soit protégée par le droit. Ce n’est pas tout à fait juste: En réalité si l’œuvre existe, alors le droit la protège parce qu’elle existe. C’est ainsi. Et c’est d’ailleurs le point de départ du code de la propriété intellectuelle, qui nous dit la chose suivante: « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (art. L. 111-1). Le message est clair: L’auteur est propriétaire de son œuvre, et chacun se doit de respecter cette propriété.

Mais évidemment dans la pratique ce n’est pas aussi évident. Il suffit de regarder autour de soi ce qu’on fait parfois des règles de droit, les feux rouges n’arrêtent malheureusement pas les chauffards, la rigueur comptable n’empêche pas certains élus de mettre la main au coffre. Et malgré toute la solennité de cet article L. 111-1 on a tous été les témoins plus ou moins lointains d’un cas de plagiat sans scrupule, ou d’une utilisation de musique défiant les lois du cool ou du bon sens. Autant de mésaventures qui nous ont conduits à vouloir « protéger » nos œuvres. Pourtant elles le sont déjà par le droit… L’auteur le fera donc par des actes.

Mais alors pourquoi protéger une chose déjà protégée? Pourquoi rajouter une armure sur un gilet pare-balle? Et bien parce que la « protection » dont parlent les musiciens est un peu particulière. Dans leurs esprits, elle ne vise pas forcément à limiter les éventuels dégâts d’une fraude. Elle vise plutôt à éviter qu’elle arrive. Regardons cette protection de plus près. Et puisqu’on comprend mieux la nature en l’observant sous microscope, armons-nous d’une bonne loupe. Bien grosse.

Dallas, ton univers impitoyable

Observons les champions du monde de la protection, nos chers voisins américains. Et pour que l’exercice soit parlant, allons directement au Texas. Sur ces terres ensoleillées vit le brave Wayne, un farmer qui s’est installé avec sa famille dans un ranch. Disons-le d’emblée, Wayne vit dans la peur, il craint plus que tout qu’on lui vole ce qui lui appartient, qu’on viole sa femme, qu’on détourne ses enfants du droit chemin, ou qu’on le prive de sa précieuse liberté. En bon Texan prévoyant, Wayne a naturellement de quoi se protéger, lui et sa famille: des armes, dont une carabine sous le lit (on ne sait jamais). Il sait qu’il en fera bon usage en cas de danger. Certes, Wayne est complètement parano fort précautionneux mais il pointe une cruelle vérité: Le droit n’empêche pas les forces du mal de frapper à la porte, et la meilleure façon de s’en prémunir est de montrer qu’on a quelques arguments sur son propre territoire. Reste à savoir lesquels.

L’article L. 111-1 nous impose de respecter la propriété de l’auteur. Très bien. Mais quelques pages plus loin, notre code nous précise ceci: « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » (art. L. 113-1). En d’autres termes, est considéré comme propriétaire d’une œuvre celui qui s’annonce comme tel et peut le prouver.

Et là, on se trouve au cœur du problème.

Revenons au Texas. Wayne a un voisin, Rupert, un type sans gêne et sans morale qui drague ouvertement sa fille et qui lorgne un peu trop sur sa Mustang de collection et ses jeunes vachettes. Wayne lui viderait bien un chargeur dans le poitrail mais comme il craint que le pasteur du village désapprouve la méthode il en choisit une autre: lui montrer qui est le père de sa fille, qui possède la voiture, et qui est le vrai gardien du bétail, le vrai cow-boy dans ce ranch. Il fait donc plusieurs choses: En plus de faire briller son colt, il s’assure qu’il a bien rangé la facture de la Mustang avec le livret de famille dans son coffre-fort, et il fait marquer toutes ses bêtes à son nom. En un mot, Wayne « anticipe » le problème, il réunit des preuves solides de ses propriétés.

Je suis ton père…

Et bien il en va de même pour la musique.

Si le droit vous donne, à vous seul, le statut d’auteur et de propriétaire de vos œuvres, il reste que les éventuels faits contraires, mêmes frauduleux, seront têtus. ll ne suffit évidemment pas de dire à sa création « Je suis ton père » pour la protéger du danger, encore faut-t-il le prouver au monde entier. Et pour ce faire, tout comme Wayne, il faut établir une filiation tangible entre la création et son auteur. Il faut donc qu’il existe une antériorité. Et surtout que celle-ci soit la plus ancienne et la moins équivoque possible. Parce que malgré la théorie juridique, en cas de litige, c’est celui qui présentera sa meilleure carte qui remportera la mise.

Finalement, « protéger » une œuvre c’est en quelque sorte faire coïncider le droit et les faits: Prouver qu’on est bien le créateur pour pouvoir faire appliquer son droit. Et comme on protège surtout lorsqu’on est attaqué, c’est avant l’attaque qu’il faut préparer de quoi se défendre.

Vous aurez peut-être remarqué que le champ lexical de la violence nous éloigne cruellement du parfum d’innocence Biactol de nos groupes de lycée et de nos toutes premières compos. Et oui, ainsi va la vie d’une œuvre de l’esprit. Mais soyons réalistes, le plagiat, ça arrive, mais c’est rare. Et au cours de votre carrière de créateur vous aurez statistiquement plus de chances de signer un mauvais contrat que de vous faire voler un titre par Lady Gaga (1), ou violer un autre par l’UMP (2).

Mais restons poètes. Et puisqu’il n’y a rien de plus beau que sa propre progéniture, nous verrons dans la suite de cet article comment établir le lien avec elle jusqu’à la fin de vos jours (et bien plus encore).

(1) « Judas » de Lady Gaga, soupçonné d’être un plagiat d’un titre de Rebecca Francescatti, avec la complicité d’un ingé-son aux oreilles peu regardantes (source ici).

(2) « One more time » de Daft Punk, diffusé lors des meetings de Jacques Chirac en 2002 sans l’accord des deux célèbres robots, et « Kids » de MGMT utilisés par l’UMP en 2009 pour sonoriser ses meetings et certaines vidéos, sans se soucier du droit moral des auteurs (source ici).

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