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Distinction entre droits d’auteur et droits voisins


Un disque est un objet fabuleux. Ces quelques cm carrés de plastique rond renferment une sacrée dose de magie musicale, de savoir-faire, et d’argent. Et bien sûr, là où il y a magie, savoir-faire et argent, il y a toujours du droit. Un jour on vous a parlé de droits d’auteurs et de leurs voisins, et votre regard s’est vaguement évaporé dans le mur d’en face? Voici de quoi vous éclairer. On va parler de fruits et légumes, de gens super intelligents, de camembert, et de Jack Lang.

Ceci n’est pas une pomme

Vous savez certainement que les droits d’auteur permettent la rémunération des créateurs d’une œuvre de l’esprit. Mais ces droits sont aujourd’hui le résultat d’un long mouvement démarré avant la Révolution. Pour faire simple, il faut imaginer qu’à cette époque, les auteurs percevaient les fruits de leur travail essentiellement en les vendant, un peu comme un maraîcher vendait ses produits sur le marché. On considérait ainsi l’œuvre davantage comme une pomme que comme une chose un peu spéciale. Une pomme donc. Et peu importe que le gourmand qu’il l’achète en fasse ensuite une tarte ou fasse pousser tout un pommier. D’où un malaise grandissant pour les auteurs. On comprend vite que le ver était dans le fruit, et que la discorde ne pouvait qu’éclater entre ceux qui font pousser les pommes et ceux qui en font commerce.

Je pourrais d’ailleurs vous raconter l’histoire des petites filles de La Fontaine, qui ont fini leurs jours dans la misère après avoir perdu leur procès contre les libraires parisiens, et qui n’auraient certainement pas connu un aussi triste sort si leur aïeul avait profité d’une mécanique de droits d’auteur comme c’est le cas aujourd’hui. A cette époque pré-révolutionnaire, passionnante, de nombreuses tensions se sont créées entre les acteurs culturels: Les écrivains confiaient aux imprimeurs des privilèges de reproduction, et commençaient à en contester leur renouvellement ou leur perpétuité. Les auteurs dramatiques se heurtaient aux comédiens et exigeaient des retours chiffrés de leurs représentations (dédicace à Beaumarchais, sûrement le plus pointu en la matière)… et le roi était un peu à la peine pour mettre de l’ordre dans ce capharnaüm juridique.

Mais on était loin d’une bataille de chiffonniers, attention, on parle de débats de haute volée, avec des Diderot, des Beaumarchais, Le Chapelier ou Kant. Il y avait du niveau (bien plus qu’aujourd’hui d’ailleurs). Il faut dire qu’au-delà du commerce il était question du génie de l’homme, de la place de l’individu dans le monde, de philo, de justice. Les Lumières ont ainsi défini les idées fortes de la propriété intellectuelle. Et parmi celles-ci, l’idée qu’une œuvre ne peut pas être une pomme, parce qu’une œuvre c’est le résultat d’une pensée, et de la matérialisation de cette pensée. Boum! Une distinction importante est alors faite.

Distinction entre la pensée et sa matérialisation

Qu’est-ce qu’une musique ou un roman, sinon le génie d’un assemblage mélodique ou d’une histoire? Mais que serait cette histoire sans le papier, sans le livre ou l’écran? Et que serait la 5ème Symphonie de Beethoven sans instrumentistes pour la jouer et/ou un disque pour l’écouter chez soi ou dans un TGV Paris-Quimper un vendredi soir?
Sans doute peu de chose. La pensée, le génie, tout aussi essentiels et centraux qu’ils soient, resteraient à l’état immatériel, et ne feraient pas partie du monde tangible. Or une œuvre a besoin d’être extériorisée en une forme perceptible aux sens (1). C’est la condition pour qu’elle ait une vie, pour que le public puisse en profiter, et aussi pour que tous les intervenants puissent l’exploiter et gagner de l’argent.

On comprend bien que les intervenants sur une création sont interdépendants, quelle que soit l’époque. Les créateurs (c’est à dire les auteurs, les compositeurs, les peintres, les graphistes…) ont besoin d’autres personnes compétentes et qui croient en leur succès pour donner vie à leurs créations. Ce sont les producteurs, les interprètes. En somme, les artistes ont besoin des artisans, le génie a besoin du savoir-faire. Si Stromae est au top depuis 2 ans c’est grâce à son talent et à ceux qui ont travaillé pour le faire connaitre. Et ces derniers travailleraient beaucoup moins sans lui. C’est encore plus manifeste avec un auteur décédé: Force est de constater que Maître Corbeau sur un arbre perché a encore besoin d’une maison d’édition, d’un illustrateur, ou d’un comédien pour perdre son fromage en 2015.

Du bon fromage

Parlons fromage. Du camembert plus exactement. Chez La Fontaine, il ne se partage pas, ni entre corbeaux, ni avec le renard (ni avec les libraires parisiens, malheureusement pour lui). Mais depuis l’écriture de cette fable les rapports de force ont beaucoup évolué. Maintenant que les Lumières nous ont expliqué qu’une œuvre n’est pas comme une pomme, c’est aujourd’hui surtout le fromage qui est en au centre des enjeux.

Pour ce qui concerne la musique, les interprètes et les producteurs ont estimé qu’il était légitime qu’ils perçoivent une rémunération sur l’exploitation des œuvres qu’ils interprètent ou qu’ils enregistrent. L’idée avancée est que leur apport participe au développement de l’œuvre et à son succès (sensibilité artistique, choix esthétiques ou techniques, prise de risque et investissements…), et que cet apport mérite une protection et une juste rétribution, en plus de celle qu’ils perçoivent du fait de leur activité propre. De nouveaux droits font donc leur apparition. Ces droits viennent en supplément du cachet d’artiste pour l’interprète, et du produit des ventes pour le producteur. Mais cet apport ne fait pas d’eux pour autant des auteurs ou des compositeurs. Ils en seront donc… des voisins.

Voilà pourquoi après avoir consacré l’auteur à la Révolution, et lui avoir donné une place centrale, le droit de la propriété intellectuelle a reconnu ses voisins comme légitimes à percevoir une part de ce camembert qui sent bon. C’est chose faite en France avec la loi Lang du 3 juillet 1985.

Et dans la vraie vie, ça donne quoi?

Nous avons donc aujourd’hui dans la musique d’un côté les droits d’auteurs qui concernent l’œuvre et ses créateurs, et de l’autre les droits voisins qui s’appuient sur l’interprétation et l’enregistrement de cette œuvre, au profit respectivement des musiciens et des producteurs.

Faisons court, faisons bien, faisons un rapide tour de table:

L’auteur est le premier propriétaire de son œuvre, il jouit d’un droit moral et patrimonial. Il a par exemple le droit de divulguer ou non son œuvre, de faire respecter son intégrité et sa paternité, d’autoriser et d’interdire son exploitation, et d’en toucher les fruits grâce à la SACEM qui gère collectivement une partie de ses droits.

L’interprète jouit de son côté également d’un droit moral sur sa prestation, et d’un droit patrimonial puisqu’il peut lui aussi autoriser ou interdire son exploitation, et percevoir des droits voisins via la SPEDIDAM ou l’ADAMI.

– Le droit du producteur s’observe sous l’angle patrimonial. Il profitera des droits voisins sur son phonogramme (l’enregistrement sonore de l’œuvre). Il pourra notamment autoriser ou interdire certaines utilisations, et percevoir de la SPPF ou de la SCPP les droits voisins qui sont gérés collectivement.

Terminons par 3 cas de figure :

(Partons du principe que chaque acteur est membre de la société de gestion collective correspondante à son statut).

Lors d’un concert: L’œuvre est exploitée puisqu’elle est interprétée par des musiciens sur scène. L’auteur et le compositeur perçoivent donc des droits d’auteur de la SACEM pour l’exploitation de leur œuvre. L’interprète est rémunéré pour sa prestation scénique du soir, mais ne percevra pas de droits voisins puisque sa prestation n’aura pas d’autre exploitation que celle pour laquelle il est payé. Enfin, le producteur de l’œuvre, lui, ne perçoit rien puisque c’est l’œuvre qui est exploitée ce soir-là, pas son enregistrement.

Lors d’une diffusion radio: La radio a le droit de diffuser ce qu’elle veut tant qu’elle paye pour cela, c’est ce qu’on appelle la Licence Légale, donnant droit à la Rémunération Équitable. Ici, les 3 bénéficiaires perçoivent chacun de leur société de gestion une part de cette Rémunération Équitable: l’auteur et le compositeur pour la diffusion de leur œuvre, l’interprète pour celle de sa prestation, et le producteur pour celle de son phonogramme.

Lors d’une synchro dans un spot de pub: Le fait d’associer une musique à une pub questionne le droit moral, et la négociation financière est toujours un cas particulier. Ce type d’exploitation n’est donc pas géré collectivement mais contractuellement. Le producteur du spot devra donc recueillir l’autorisation des auteurs, des compositeurs et des producteurs. Ils toucheront donc des droits d’auteurs et des droits voisins, mais sur la base de leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’exploitation de leur création.

 (1) Philippe Gaudrat, « Réflexions sur la forme des œuvres de l’esprit », in Mélanges en l’honneur de André Françon, Dalloz, 1995, p.195 et s.

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  • Mikachuuu

    Article très agréable à lire. Merci beaucoup pour ces informations.


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