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Un groupe de musique existe t-il juridiquement?


Dans la chaleur des studios de répétitions, nul doute qu’il y a de la vie. Plein de vies. Depuis la mousse protégeant les micros dans laquelle se développent les bactéries du rock n’ roll, au souffle discret des enceintes encore allumées, même en fin de journée la vie est bel et bien palpable. Ici, la créativité foisonne, des idées prennent forme, des projets se concrétisent, des guitaristes engueulent des batteurs. Chaque groupe qui y défile pour faire de la musique est réel. Mais quand il sort de ces quatre murs pour aller rencontrer son public, son existence change de plan. Un achat de matériel, une location de camion, un contrat de prestation, une gestion de droits d’auteurs… On n’est plus dans le monde musical, mais dans le monde juridique. Et dans ce monde, que devient le groupe?

La personnalité juridique 

Pour de nombreux musiciens, qui préfèrent leur instrument au code civil (et on les comprend), il est impossible que leur groupe ne puisse pas exister juridiquement. Ils imaginent alors qu’il s’agit d’une personne morale, comme une asso ou une petite entreprise. C’est un raisonnement que j’ai souvent rencontré. En effet, tout laisse penser au néophyte que le groupe est une entité à part entière: Son nom figure en gros format sur les affiches ou sur la pochette du vinyle, il apparaît sur les plateformes de streaming, sur les pages Facebook et Instagram, on le retrouve jusque dans les url des sites web ou les emails. Les membres du groupe peuvent donc croire que ce qu’ils forment ensemble est une entité à part entière, détachée d’eux-mêmes. Or, il n’en est rien: Les usages et le langage de la vie courante ne correspondent pas à la réalité du droit. Et un groupe, même soudé socialement, n’a aucune existence juridique propre. On dit qu’il n’a pas la personnalité juridique.

La personnalité juridique, c’est une abstraction. Un concept, qui fait d’une personne ou d’un groupe de personnes un sujet de droit. Tous les êtres humains sont concernés, du simple fait de leur naissance. Ce sont des personnes physiques. Et en tant que sujet de droit elles ont donc une date de naissance (et de mort), une adresse, un nom, un patrimoine, des droits et des devoirs. Les animaux ne sont pas concernés, même si la loi a évolué en 2015 en les reconnaissant comme « des êtres vivants doués de sensibilité » (1). Pour les humains évidemment, cela va de soi. A moins que vous soyez esclavagiste, ou éventuellement que vous vous preniez pour un chat.

Mais pour les groupes de personnes, la personnalité juridique n’est pas automatique. Pour qu’un groupe de personnes physiques devienne une personne morale, il faut un acte d’enregistrement par une autorité compétente. C’est le cas d’une association, une société, un syndicat, ou encore une commune, un département, ou même l’Etat. Comme les personnes physiques, les personnes morale ont une date de naissance, une adresse (ou des frontières), un nom, un patrimoine, des droits et des devoirs.

Le groupe de musiciens n’est donc pas concerné, et n’a pas la personnalité juridique. Le groupe ne peut donc pas faire d’acte juridique par lui-même. Il ne peut pas signer de document, ni ouvrir un compte en banque, ou se faire embaucher pour un concert. C’est impossible en tant que groupe. Par exemple, un contrat de location dont le signataire serait « The Fabulous Power Flames » n’aurait aucune valeur juridique. Même si ce groupe est un pilier de la côte est de Paris (et surtout de ce blog).

Un groupe tout à fait vivant musicalement, mais pas forcément juridiquement (photo : mbolli / Pixabay)

La nécessité de se faire représenter

Mais alors, comment agir en tant que groupe? La seule solution est que ces actes soient réalisés par une personne ou un structure ayant la personnalité juridique. Le groupe ne l’ayant pas, il devra désigner ou créer un représentant, qui pourra être une personne physique ou une personne morale.

Si c’est une personne physique, il pourra s’agir par exemple d’un des membres du groupe, ou d’une personne extérieure comme un manager. Cette personne pourra alors agir pour le compte du groupe et de ses membres pour réaliser certaines actions pratiques: Une location de camion, des réservations d’hôtel, des achats de matériel, négocier des cachets pour un concerts, etc. Mais attention, une bonne entente, une forte confiance, et la transparence sont indispensables! D’autant plus qu’en général, tout ceci se passe sans écrit, à la cool, entre amis. Attention également à la responsabilité de cette personne de bonne volonté, qui pourra être engagée en cas d’incident (une portière rayée sur véhicule loué, par ex.).

Si c’est une personne morale, le champ d’action est plus large. Elle pourra faire tout ce que peut réaliser une personne physique, mais elle pourra aussi faciliter certaines situations, disons plus « professionnelles », et qui sortent du cadre de la débrouille. Voici quelques exemples : En droit du travail, une société ou une association pourra embaucher les membres du groupe et vendre une prestation de spectacle à un organisateur, ce qui facilite les négociations. En propriété intellectuelle, elle pourra financer la production d’un album, déposer les phonogrammes, et organiser le partage des droits. Enfin (et c’est à la croisée des chemins) elle pourra aussi percevoir plus facilement des subventions, liées à la production d’un album ou d’un spectacle (projets qui sous-entendent souvent des salaires de musiciens et de techniciens). Créer une personne morale est donc la meilleure solution pour représenter un groupe et agir en son nom. Mais attention, les membres du groupe doivent bien comprendre qu’une personne morale a un patrimoine distinct de ceux des membres du groupe. Ce qu’elle finance ou acquiert  lui appartient, à elle et pas à ses usagers. Cela semble une évidence pour les choses tangibles (achat de matériel par ex.), mais ça l’est parfois moins pour les choses immatérielles (financement de l’enregistrement d’un album). Ou alors on l’oublie vite…

(1) Article 515-14 du Code Civil. Les animaux n’ont toujours pas la personnalité juridique, mais le droit commence à les distinguer des objets.

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  • michele gaillard

    bonjour,
    A qui réclamer les frais de déplacement pour concert ?

    Manageur ou
    Association qui soutien les projet du groupe
    A tous les membres du groupe
    A une agence de production et dans ce cas ou je peut trouver ces coordonnée ?

    J’espère que vous pourrez me répondre afin que je multiplie pas mes courriers . Meilleures salutations


    • Nicolas Garnier

      Bonjour Michele,
      J’imagine que vous vous placez du côté de l’organisateur qui souhaite défrayer les musiciens qu’il a fait jouer. En général les défraiements sont prévus en amont, dans le contrat d’engagement ou de cession. Soit sur le montant, soit sur le principe (remboursement des frais sur présentation des factures a posteriori). Dans ce cas, vous sollicitez tout simplement vos co-contractants. Mais si rien n’a été prévu en amont, et que personne ne vous envoie de facture, vous pouvez solliciter tous les interlocuteurs que vous citez puisqu’ils peuvent avoir payé ou réuni des billets de train, des facture d’essence, ou de taxi. Vous pouvez aussi ne rien faire : C’est davantage aux personnes concernées d’apporter les éléments pour un remboursement qu’à vous d’aller les quémander. Mais ce n’est que mon avis…


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