« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Ça claque, et c’est Lavoisier qui sort cette punchline en 1789. Brillant chimiste et philosophe, il ne croyait pas si bien dire, puisque deux siècles après l’oxydation et la Révolution Française, le sampling s’appuie sur cette même règle universelle. Mais aussi sur des règles de droit, et c’est là que ça se complique. Quelles sont les obligations à connaitre, et les démarche à accomplir ? Comment savoir si votre sample est utilisable librement? Voici les réponses.
Des savants fous aux vampires
A l’échelle de la musique, et à celle du droit de la propriété intellectuelle, le sampling est un procédé extrêmement récent. Rappelons qu’il consiste à isoler un fragment d’un son préexistant pour l’utiliser dans une nouvelle création sonore. En quelques années on est passés de techniques rudimentaires (coup de ciseaux et bouts de scotch sur des bandes magnétiques), à des engins fabuleux comme cette merveille ou cette dinguerie vintage, avant de pouvoir faire la même chose en mieux et plus rapidement avec n’importe quel ordinateur de base. Plus besoin de s’appeler Peter Gabriel, Paul McCartney ou Kraftwerk, et surtout plus besoin de leur fortune, pour pouvoir sampler n’importe quel son et laisser libre cours à sa créativité transformiste.
Pour ces pionniers de l’électronique, le but était surtout de doper la créativité en intégrant des sons inhabituels comme des voix humaines du bout du monde ou des bruits d’enclumes. Avec la démocratisation de ces machines dans les années 80-90, la source sonore principale est vite devenue la musique elle-même. Le hip hop a ainsi puisé ses rythmiques dans les vinyles de funk et de soul, les « bedrooms producers » ont pu s’en donner à cœur joie sur leurs MPC, Daft Punk, Lady Gaga et Kanye West ont même carrément vampirisé la musique des autres, sans se cacher parce que c’est cool. Lavoisier aurait adoré, à en perdre la tête (s’il n’avait pas déjà été guillotiné, hum).
Évidemment, si on peut faire de la musique avec des sons de machine à laver sans jamais rien devoir à personne, comme ces foufous géniaux de Matmos, impossible d’en faire de même avec la musique des autres. En effet, il y a de très fortes chances que celle-ci soit liée à des ayants-droits, et qu’elle soit protégée par le droit.
On est poli et on dit S’il vous plait !
Que se passe t-il juridiquement quand vous samplez un disque? Vous faites un copier/coller ou une capture sonore, mais surtout, vous isolez un triple extrait: Celui d’une œuvre, celui de l’enregistrement de cette œuvre (le phonogramme), et celui d’une prestation musicale. Ce qui signifie que vous vous apprêtez à exploiter ces 3 éléments, sur lesquels des droits sont rattachés. Ainsi, l’auteur, le compositeur et l’éditeur ont des droits sur leur œuvre, le producteur sur son phono, et l’interprète sur sa prestation.
La règle (1) est parfaitement claire: Ces ayants-droit ont tous un monopole d’exploitation sur leur création ou sur leur travail, ce sont des droits patrimoniaux et/ou des droits moraux. A ce titre, ils peuvent autoriser ou interdire une exploitation par un tiers. Pour éviter la contrefaçon il faudra donc les identifier précisément, vérifier si leur monopole est toujours actif, si c’est le cas, leur demander l’autorisation pour exploiter votre extrait, et enfin attendre leur réponse positive ou leur conditions financières.
Tordons le cou à une idée reçue: La taille ne compte pas! Peu importe le nombre de secondes, de notes, de mesures empruntées, ou même du passage de l’œuvre d’origine, en matière de sampling l’autorisation est obligatoire par principe. Ni la loi ni la jurisprudence n’ont défini de seuil en dessous duquel l’emprunt serait libre. Seule une récente décision de la Cour constitutionnelle allemande (fin mai 2016) a pris le contrepied de ce principe, dans l’affaire Kraftwerk. Mais comme je l’expliquais dans mon commentaire, il s’agit pour le moment d’une décision isolée, très circonstanciée, et qui ne concerne que l’Allemagne.
1- Comment bien identifier les ayants-droits?
Pour y parvenir, plusieurs outils s’offrent à vous :
Les informations inscrites en crédits sur la pochette peuvent vous aider à retrouver les auteurs, compositeurs, et interprètes. Mais si le disque est sorti depuis plusieurs années, il est possible que l’éditeur ou que la maison de disques ne soient plus les mêmes. Vous pouvez aussi utiliser certains sites comme Discogs, ou les métadonnées affichées par le distributeur numérique. Mais pour la France, adoptez le bon réflexe: Utilisez les moteurs de recherche des sites des SACEM, SCPP et SPPF. Ils vous donneront les noms des ayants droits actuels, tels qu’ils sont renseignés dans les répertoires des sociétés. Vous pourrez même y trouver directement leurs coordonnées.
2- Vérifiez les monopoles en cours
Quant à la durée des monopoles, il convient de vérifier s’ils sont actifs. Donc de savoir identifier quels droits sont concernés ainsi que leurs durées respectives. Au delà de cette durée légale, le monopole prend fin et l’œuvre ou le phonogramme tombent dans le domaine public. L’autorisation n’est alors plus requise. Ce qui pourrait grandement vous simplifier la tâche: La tentation est donc de ne s’intéresser qu’à des enregistrements tombés dans le domaine public… Pourquoi pas, mais dans ce cas, attention à la durée des droits!
Voici un rapide rappel :
– Pour l’œuvre : 70 ans à compter du 1er janvier suivant la mort de l’auteur et/ou du compositeur (L123-1 CPI).
– Pour le phono et l’interprétation: 70 ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la mise à disposition du public de l’enregistrement (L211-4 CPI).
Vous trouverez plus de précisions dans ce précédent article.
Attention, notez bien que les droits moraux de l’auteur et de l’interprète sont inaliénables et imprescriptibles! Cela signifie que malgré la fin de leur monopole sur leurs droits patrimoniaux, leur droit moral subsiste pour l’éternité jusque dans l’infini de l’au delà. Ils devront donc être cités dans les crédits de votre nouveau tube.
3 – Négociez l’autorisation
Autant être clair, la musique c’est de l’art mais c’est aussi du business. Donc tout se négocie. Dans tous les cas, l’autorisation devra être explicite, écrite. C’est le seul moyen de « clearer les droits » valablement (oui, c’est comme ça qu’on dit). Sachez que le silence de l’ayant-droit ne vaudra jamais acceptation. Les ayants-droits peuvent parfaitement refuser sans se justifier, accepter l’utilisation du sample sans contrepartie, ou trouver un terrain d’entente financière. C’est ce qui se passe dans la plupart des cas: Les ayants-droit trouvent un compromis en se partageant les revenus générés. Tout le monde y gagne.
En terme de négociation, tout dépend de la « valeur » estimée du sample, de sa place prise dans le morceau final, et bien sûr des rapports de force. Si vous voulez sampler un titre de Lady Gaga pour votre prochain morceau, il est possible que la dame vous snobe, ou qu’elle vous ruine, vous et votre descendance. Mais si c’est elle qui souhaite vous emprunter un bout de votre titre, courrez donc vous offrir une bouteille de champagne! Faites comme les français de Zombie Zombie qui ont eu ainsi la joie de dire oui à Lady Gaga, et de partager les fruits de cette union. La progéniture s’appelle Venus, et est très largement créée à partir de l’ADN de Rocket number 9 du trio français. Cocorico!
Le cas du sample génétiquement modifié
La règle à suivre est donc relativement facile à comprendre dans le cas d’un sample qui serait un extrait sonore non modifié ou suffisamment peu pour que la source (le morceau d’origine) soit facilement identifiable. C’est le cas par exemple pour l’énorme Hung up de Madonna, samplant l’encore plus énorme Gimme! Gimme! Gimme! de Abba. Mais les choses sont différentes lorsqu’on commence à beaucoup « travailler » le sample. Les outils ne manquent d’ailleurs pas pour s’attaquer au génome sonore: Modification du pitch, time stretching, filtres divers et variés, effets… Le résultat de ce travail peut considérablement s’éloigner de la capture sonore d’origine. A tel point que le lien entre les deux devient de moins en moins audible. Le travail réalisé par le musicien emprunteur peut ainsi prendre l’ascendant sur la source empruntée. Qu’en est-il des autorisations à demander?
Juridiquement, il n’y a pas de réponse claire, et il ne peut y en avoir. On entre alors dans une appréciation complètement subjective de la situation et des obligations qui en découlent. De nombreuses questions peuvent ne pas trouver de réponses évidentes: Quelle est la source exacte? Qui est capable de la reconnaitre? Quel degré de connaissance musicale faut-il avoir pour considérer que la source est identifiable ou non? La loi ne peut pas donner de réponse objective à ces questions. C’est donc au juge, à la jurisprudence, d’essayer d’y répondre. Cela se fait au cas par cas, parfois avec l’aide d’un expert. Le critère qui semble être déterminant depuis une décision de mars 2000 est le caractère identifiable ou non de la source par un auditeur moyen. Si le juge estime que celui-ci peut relier le sample à sa source, alors l’autorisation des ayants-droit est requise (ou était, ce qui entraine la contrefaçon). L’approche est donc très qualitative: Il s’agit également pour le juge de prendre en compte l’impression donnée par l’utilisation du sample, de mesurer son importance dans le morceau final, de vérifier s’il peut y avoir confusion dans l’esprit du public, et donc un bénéfice indu pour le sampleur au détriment du samplé. C’est très subjectif, mais on ne peut guère faire beaucoup plus précis qu’avec cette méthode.
En résumé:
– L’autorisation de tous les ayants-droit dont le monopole est actif est par principe exigée.
– Identifiez soigneusement les ayants-droits grâce aux répertoires des sociétés de gestion.
– Citez vos les auteurs samplés. Toujours.
– Soyez vigilants si la source du sample est reconnaissable par un auditeur moyen.
A vos platines et restez créatifs!
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(1) Art. L122-4 du CPI pour l’auteur, L213-1 pour le producteur, L212-3 pour l’interprète.
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