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Pourquoi Youtube démonétise certaines chaines de vidéos


Comment tourner les choses à son avantage quand ça sent un peu le roussi? Exemple cette semaine avec Youtube et sa nouvelle politique de monétisation des vidéos. Ou comment rendre un gros lézard aussi sympa qu’une hirondelle du printemps.

Jusqu’à présent, chaque Youtubeur pouvait décider de faire monétiser ses vidéos, en laissant apparaitre une publicité moyennant quelques micro-centimes. Cette option était possible quelle que soit l’audience de la chaine ou le succès de la vidéo. Mais la plateforme vient de modifier ses règles d’utilisation en instaurant un seuil en dessous duquel la monétisation ne pourra plus être activée. Dorénavant, une chaine devra totaliser 10 000 vues pour commencer à générer de l’argent pour son créateur. Youtube vérifiera ensuite qu’elle est bien conforme à ses principes d’utilisation, grâce à de nouveaux partenaires et de nouveaux outils, intelligence artificielle comprise.

La principale raison de ce changement est la désaffection de certains gros annonceurs, en particulier outre-Manche, comme Audi, Starbucks, PepsiCo, HSBC, Havas, ou la BBC. Leurs bandeaux de pubs étaient malencontreusement associées à des vidéos pas très recommandables, à caractère néo-nazi, ou faisant l’apologie du terrorisme. Autant dire que ça faisait désordre. L’info a été révélée par le Times le 17 mars, faisant rapidement plonger la valorisation boursière de Alphabet (1), la maman de Google et Youtube. Des millions de dollars s’envolaient, il était donc urgent pour elle de réagir.

L’autre raison invoquée est d’assainir la plateforme, et d’éviter de tenter les pique-assiettes avec de la monétisation. En effet, certains contenus sont très souvent repris par des youtubeurs au mépris des droits d’auteurs. On est tous tombés sur ces vidéos de buzz ou de type zapping TV, qui n’ont pour objectif que de faire de l’argent facile en présentant des contenus attractifs qui ne leur appartiennent pas. Ce sont les sangsues du système. Et elles devraient avoir plus de mal à parasiter la plateforme avec le contrôle qui sera dorénavant opéré par les robots et les services des partenaires de Google.

Ça, c’est la version officielle de Google. Mais soyons taquins pour voir les choses un peu autrement.

Soyons un peu taquins

Il est quand même étonnant de constater qu’il aura fallu que les annonceurs (c’est à dire la source de revenus n°1 de Youtube) manifestent leur mécontentement pour que Youtube se décide à faire le grand ménage. Curieusement, avant cette fronde des annonceurs, ça ne la gênait pas plus que ça que sa pub soit parfois mal dirigée, ou que certains contenus pas très fair-play avec le droit d’auteur y fassent recette. Certes, les ayants-droits n’étaient pas très contents, un robot vérifiait vaguement tout ça, mais tant que le circuit pub tournait, on ne pouvait pas dire que Google faisait du zèle pour les défendre, les rémunérer, ou simplement les informer clairement sur son fonctionnement. Mais maintenant que les bonnes personnes boudent, Youtube s’active. Et ce changement de politique a finalement deux grands avantages pour elle :

Fermer les yeux sur ce qui se passe en dessous de 10 000 vues: En clair, tout ce qui ne rapporte rien ou très peu n’intéressera pas beaucoup Youtube, puisque aucun annonceur ne viendra râler à propos des contenus. On voit mal pourquoi elle viendrait perdre son temps et ses moyens à contrôler spontanément les millions de vidéos non monétisables. Dégagée du risque de fronde des publicitaires (les seuls partenaires ayant réellement une influence sur elle), il serait même assez facile pour elle de considérer les petites vidéos comme relevant de la liberté d’expression, de citation, ou la liberté d’entreprendre façon american dream… C’est beau la liberté, ça permet d’avoir moins de choses à surveiller. Easy.

Ne plus traiter les petits revenus, et économiser sur ses coûts de gestion. C’est un problème bien connu des sociétés de gestion collective, des distributeurs numériques, et des plateformes de streaming : Gérer des milliards de centimes, ça finit par coûter très cher. Informatiquement parlant, une gestion est une gestion, un calcul est un calcul, alors autant qu’il y ait le plus d’argent possible derrière chaque opération. En ne monétisant plus les petites chaines, Youtube s’affranchit d’une partie de son boulot, celle qui est la plus contraignante et la moins rentable. Cela affectera forcément les petites chaines (bien que 10 000 vues rapportent seulement la bagatelle de 10€), mais ne pénalisera pas les revenus de Youtube. En effet ces chaines ne représenteraient que 5% des vues effectuées (d’après le Wall Street Journal). L’essentiel de la plateforme restera donc parfaitement rentable.

Ne soyons pas dupes. Derrière ses annonces Youtube cherche juste à protéger ses revenus et à rendre sa plateforme plus fructueuse qu’avant. La plateforme se drape dans un tissu d’intentions louables comme le respect des annonceurs et les droits des créateurs. Mais cela ressemble bien plus à une optimisation économique de son système. Il faut le reconnaitre, vu le contexte, c’est assez malin. Quand on connait la position de Google sur d’autres aspects de la propriété intellectuelle (cf. le partage de la valeur) on a beaucoup de mal à croire que ses intentions soient exactement celles qu’elle annonce. Les chiens ne font pas des chats, et Google n’a pas adopté Youtube pour la philanthropie, ça se saurait!

(1) La valorisation boursière de Alphabet a perdu 20 milliards de dollars après les révélations du Times (source : cbnews.fr)

 

 

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