Retour sur une des conférences du MaMa à laquelle j’ai assisté, avec une plateforme de streaming innovante que je voulais vous présenter. Nous sommes au FGO Barbara, dans le 18ème à Paris. Eric Petrotto et Cédric Claquin, les DG de 1DLab sont accompagnés de Gérard Debrinay, leur nouveau Président, et de quelques intervenants partenaires du projet. L’ambiance est clairement celle d’une startup coopérative. On est cools, détendus, sérieux, et le vocabulaire choisi tout au long de la conférence fleure un bon esprit: On parle d’innovation, de bienveillance, de coopération, de partage, de nos régions qui ont du talent… et il faut avouer que c’est plutôt séduisant.
L’idée de départ chez 1DLab, c’est de prendre le contrepied de ce qui est déjà proposé en matière de streaming. Le marché de la musique numérique souffre en effet après seulement quelques années d’existence de plusieurs défauts: Une forte concentration des acteurs, des visibilités très inégales pour les artistes, une rémunération décevante et une répartition de la valeur inéquitable (on en avait parlé ici).
Le projet s’articule autour de la plateforme 1D touch. Comme son nom l’indique elle permet de découvrir des artistes indés. Problème: Il est illusoire de demander aux utilisateurs de payer un abonnement pour accéder à du contenu peu ou pas connu, avec peu ou pas de visibilité à l’extérieur. Le projet contourne donc cette difficulté en intégrant des acteurs locaux qui sont les co-financeurs du projet. Et ça c’est plutôt malin. Ainsi, ce sont des bibliothèques, des salles de spectacles, des centres culturels, des disquaires, ou des MJC, qui souscrivent des abonnements (ce qui constitue la CCT, Contribution Créative Territoriale) pour faire profiter gratuitement de la plateforme à leurs adhérents/clients/public. L’usager final ne paie donc rien, mais il découvre et profite des contenus de 1D touch par l’intermédiaire de son relais culturel habituel. Il peut accéder à la plateforme grâce à une borne spécifique et tactile in situ (équipée Focal, svp), ou utiliser une appli exploitant la géolocalisation, gratuite, et baptisée Réserve Déboussolée (qui sera très bientôt mutée en Divercities): « Un mix entre Happn et Pokemon Go », plaisante Eric Petrotto.
La force de ce système, c’est de déplacer l’acte de paiement de l’usager vers ses relais culturels habituels, mais aussi de laisser à ces derniers un rôle éditorial, selon leur ligne artistique ou la vie culturelle locale. C’est ce que 1DLab a baptisé les capsules culturelles. Gérard Debrinay compare ce rôle de prescripteur culturel avec celui du libraire de quartier, qui glisse dans ses rayonnages des petites notes et recommandations pour guider ses clients. Une salle de concert peut ainsi recommander l’écoute des groupes locaux qu’elle a programmés, une médiathèque ses coups de cœurs, un petit label ses sorties récentes, etc., autant de coups de projecteurs valorisants pour les artistes indés. Il y a donc dans ce projet un aspect collaboratif, une volonté d’associer tous les partenaires dans la grande chaine de la valeur.
Compte tenu de la variété de ses partenaires et des possibilités offertes par cet écosystème, le développement de la plateforme se fait géographiquement et aussi de façon multiculturelle. L’idée n’est évidement pas de la cantonner à la musique, puisqu’elle a vocation à proposer aussi du livre, des jeux vidéos, ou des images animées, peu importe, pourvu que la plateforme réponde aux besoins des indés.
Et la rémunération dans tout ça?
Avec son modèle économique hors normes 1DLab propose une rémunération de 0.075€ par stream. Un chiffre qui est ensuite réduit après 3 ans d’ancienneté du titre (pour favoriser la nouveauté et la diversité). C’est 15 fois plus que les 0.005€ proposés habituellement dans le secteur. Un tel taux de rémunération peut laisser dubitatif… Mais à écosystème exceptionnel, tarif exceptionnel! Intervenant dans la conférence, Monsieur Mo de Jarring Effects a aussi insisté sur la bonne lisibilité de ce taux, puisque celui-ci est fixé pour une année entière. Il a en effet expliqué qu’un relevé de streaming était souvent un désolant fouillis, avec des taux différents d’un pays d’écoute à un autre, ou si ridiculement faibles qu’ils doivent être arrondis à un zéro pointé (le fail ultime du streaming)… Bref, un grand bazar difficile à suivre et à analyser. On ne doute pas de son soulagement en y découvrant enfin des infos claires.
Petit bémol, 1DLab s’engage certes sur un taux fixe annuel, mais il sera amené à évoluer au fil des années. Et oui, il faut rester réalistes, si les financements restent constants alors que les écoutes augmentent, les revenus distribués diminuent mécaniquement. Et c’est un scénario tout à fait possible. Mais on doit bien reconnaitre un certain courage à 1DLab pour démarrer avec un taux enfin rémunérateur pour les ayants-droit.
Mais la rémunération proposée va au delà d’un taux généreux. C’est en fait un nouveau modèle qui est mis en place pour favoriser la diversité. Ce modèle mixe une part fixe (calculée en fonction du nombre de références apportées au répertoire), une part variable (calculée en fonction des écoutes), et une part solidaire (destinée à soutenir certains projets artistiques, à partir de 2017).
Un projet rafraichissant
1DLab a t-il inventé le streaming durable? L’avenir proche nous le dira. Mais je pense qu’on ne peut que saluer un projet qui cherche des solutions nouvelles aux problèmes observés aujourd’hui, et qui semble s’appuyer sur des valeurs qui font parfois défaut dans ce monde de brutes qu’est l’industrie culturelle. L’état d’esprit indé, collaboratif, bienveillant, pro-culturel, semble avoir trouvé une traduction dans tout le montage de ce projet. On sent aussi que Eric Petrotto et Cédric Claquin jouent la carte du contre-pied, avec un nouvel écosystème, des nouveaux outils, des nouveaux réflexes, un nouveau vocabulaire. Et c’est plutôt rafraichissant!
Dernière observation: Les différents intervenants de la conférence ont plusieurs fois démontré, en creux, que le lien auditeur-créateur était un lien précieux. Ces dernières années, on est passés d’une économie de la propriété à une économie de l’usage. Or, l’usage est beaucoup moins rémunérateur que la propriété. Et surtout, l’économie de l’usage a sérieusement déconnecté l’auditeur et le créateur. En effet, de nombreux intermédiaires totalement étrangers à la musique se sont glissés entre eux, et il n’y a plus aucun lien compréhensible entre ce que l’auditeur paye et les créations auxquelles il accède. Comme je l’avais expliqué ici, plus on les éloigne, moins les règles qui les lient sont lisibles et acceptées, moins la propriété intellectuelle est compréhensible, moins la valeur de la création est palpable, et moins le public se sent impliqué par ce qu’il écoute. La force de 1D touch, c’est de chercher à préserver ce lien culturel et émotionnel, tout en ayant effacé la relation financière.
Au bout du compte, les relais culturels co-financent et diffusent, les prescripteurs conseillent, la géolocalisation oriente, les auditeurs écoutent, les créateurs créent et perçoivent… En fait, chacun joue son meilleur rôle. En tout cas, d’une meilleure manière que dans le modèle classique du streaming, où viennent s’encanailler dans un monde qui n’est pas le leur des annonceurs, des régies pubs, des fournisseurs internet ou de téléphonie. Alors certes, il faut toujours trouver des payeurs, le modèle parfait n’existe pas et le plus simple d’entre eux est dépassé. Mais il semble que moins on cherche à travestir le rôle de chacun, plus le modèle apparait sain et durable.
On suivra donc avec attention le développement de 1D touch! Pour l’heure, l’équipe profite d’une levée de fond d’1 million d’euros, d’un rapprochement avec Believe Digital et Idol, d’1 million de titres disponibles, et annonce près de 1000 relais culturels partenaires. Souhaitons leur bonne chance!
Commentaires