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Directive Européenne: Pour une juste tuyauterie


Ils ont dit oui. Oui à un nouveau texte, oui à un partage plus équitable de la valeur sur internet. Et ils ont surtout dit non. Non à une situation qui devenait de plus en plus déséquilibrée, injustifiée, et insensée. Les députés européens ont adopté hier la nouvelle Directive sur le droit d’auteur. Un texte aux enjeux importants pour les créateurs, et attaqué par des lobbys surpuissants. Voici de quoi faire le point sur la situation. On va parler d’un ex-Beatles, de Youtube, et de Spiderman.

Un problème de gap

Comment rencontre t-on la musique et la création aujourd’hui? La réponse est sous vos yeux. Grâce à internet et ses tuyaux. Youtube, Google, Facebook et les réseaux sociaux sont devenus les principaux chemins nous conduisant aux créations culturelles. Parce que c’est pratique, c’est rapide, et surtout (ne nous mentons pas) parce que c’est plus ou moins gratuit. Ces marchands de tuyaux numériques ont très vite compris l’intérêt de faire circuler les créations culturelles: Extrêmement attractives, elles captent le public et le retiennent. Un terrain propice pour le développement de la publicité. Sauf que, sur ces plateformes, la publicité et les bénéfices qu’elle génère ne profite pas équitablement à tous les acteurs de l’histoire. Loin s’en faut. Un déséquilibre toujours plus important s’est créé entre ceux qui font les contenus et ceux qui font ces contenants. C’est le value gap, décrit par Paul Mc Cartney comme le « gouffre entre la valeur que ces plateformes retirent de la musique et ce qu’elles payent aux créateurs », dans une lettre ouverte au Parlement européen le 3 juillet. Ces plateformes américaines aspirent littéralement les recettes publicitaires générées par « l’utilisation massive des œuvres créées par les auteurs européens et des articles de notre presse » (Jean-Noël Tronc, DG de la SACEM) (1). On estime en effet qu’en 2017 78% des recettes publicitaires sur le web ont ainsi été captées par les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, Google et Facebook pour l’essentiel. Pour en savoir plus sur ce value gap, vous pouvez lire ce précédent article.

En 2018, nous en sommes là: La bande à Google affiche des bénéfices records et des valorisations boursières hallucinantes (et profite allégrement d’aménagements fiscaux) alors que nos créateurs tirent la langue. Les artistes sont dans le rouge, la presse locale se meurt, alors que leurs créations n’ont jamais été autant exposées, consultées, écoutées, regardées, lues, partagées. Pas de doute, Mémé est dans les orties, elle se roule dedans, la pauvre.

La liberté d’expression des utilisateurs est une des excuses des tuyaux du net pour défendre leur position. Le problème, c’est que ça sonne souvent faux (photo : Anke Art)

Le Parlement a choisi son camp

L’un des objectifs de cette Directive européenne est donc de remettre un peu d’équité dans cette histoire. D’abord proposée et rejetée en 1ère lecture par le Parlement le 5 juillet dernier, elle a finalement été adoptée hier (438 voix pour, 226 contre) dans une version légèrement modifiée. 2 articles ont concentré les discussions:

– L’article 11, qui crée un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, avec une part revenant aux auteurs de ces publications. Sont directement visés ici Google News et les réseaux sociaux comme Facebook, en tant que relais lucratifs de ces créations. Des droits voisins devront donc être négociés sous forme de licences entre les éditeurs de presse et les plateformes, à la hauteur des bénéfices publicitaires générés. Une nouvelle source de rémunération est donc née pour la presse. Il n’y a plus qu’à espérer que les plateformes jouent le jeu… et n’imitent pas Google, qui avait tout bonnement déréférencé des titres espagnols de son service News en Espagne, à l’occasion d’un test, réduisant immédiatement la consultation de ces sites d’info. #tetedepioche. Mais une réaction similaire à l’échelle européenne semble difficile. Il faudra aussi compter sur l’accessibilité de ces licences, et la préservation du droit de citation, pour qu’internet puisse rester créatif et dynamique. Mais sur ce sujet, le droit actuel est déjà riche en exceptions (buts critique, pédagogique, d’information, scientifique, humoristique, etc).

– L’article 13, qui oblige les plateformes à mettre en place des licences d’utilisation avec les ayants-droit des contenus culturels qu’elles diffusent ou hébergent. Contrairement à la presse, l’objectif est ici de renforcer un droit déjà existant (mais surtout ailleurs), et de mettre en place une juste contrepartie de l’exploitation qu’elles font des créations culturelles. Jusqu’à présent, elles prétendaient n’avoir qu’un rôle de tuyaux passifs du net, et non d’exploitant direct, ce qui leur permettaient de s’asseoir copieusement sur ce droit. Mais tout dépend justement du rôle qu’elles se donnent sur le net, et surtout de celui que l’Europe leur reconnait. Avec cette Directive, le Parlement veut en finir avec cette distinction, artificielle et pleine de mauvaise foi, et rapprocher le rôle de Google et Facebook de celui des exploitants comme Deezer ou Spotify. Les tuyaux étant de fait les exploitants n°1, autant les considérer pour ce qu’ils sont et leur donner les obligations habituelles liées à leur statut: Exploiter la culture sous condition de licences.

En l’absence de ces accords d’utilisation, elles devront aussi contrôler les contenus mis en ligne par les utilisateurs, pour empêcher les violations de droits d’auteur ou de droits voisins. On connaissait déjà la technologie de filtrage mis en place par Google sur Youtube (Content ID), il s’agira d’imposer à ces géants du web la généralisation de ce type de sécurisation. Vus leurs moyens pharaoniques, on ne doute pas un instant que ça sera réalisable rapidement. Le texte remanié invite cependant à éviter au maximum le blocage automatique des contenus analysés comme litigieux, pour ne pas risquer des suppressions injustes ou de verser dans la censure.

Il s’agit d’une revanche pour les industries culturelles et les créateurs européens. Et aussi une victoire politique contre les géants du net, tant le travail de lobbying a été féroce de part et d’autre. Jean-Noël Tronc, DG de la SACEM, dénonce d’ailleurs dans son communiqué de presse la « campagne de désinformation et de pression des GAFA pour faire rejeter ce texte ». Il semblerait donc qu’un sursaut ait eu lieu en Europe au profit des créateurs de culture et d’information. D’autant plus que ces géants du net sont majoritairement américains et qu’ils aspirent la richesse créée par des créations européennes. Leur rôle est aujourd’hui essentiel dans l’accès à la culture, personne ne le nie. Mais « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » selon Spiderman, spécialiste de la toile bien faite. Alors pour les rois du web, les responsabilités se tissent maintenant.

Des tuyaux bien accordés: Aucune perte de souffle pour eux, artistes et public satisfaits (photo : Christophe Mueller)

Des questions techniques en suspens

La version finale de cette directive sera maintenant étudiée par le Parlement, la Commission et le Conseil (les États membres). Les débats ne sont donc pas terminés. Mais on voit que le rapport de force entre les créateurs et les géants du net est en train de changer. D’un rapport créateur/profiteur, on s’oriente vers un rapport producteur/distributeur. Mais de nombreuses interrogations seront à étudier: Combien perçoivent réellement les GAFA? Seront-ils transparents? Comment sera négociée la part revenant aux ayants-droits? Quels seront les barèmes de rémunération? Comment seront réparties ces sommes entre les ayants-droit? Existera t-il un nouvel organisme de gestion collective, une sorte de Sacem de la presse? Combien toucheront réellement les artistes? La bataille pour ajuster cette grande tuyauterie qu’est le financement 2.0 de la culture et de l’information en Europe est loin d’être terminée.

(1) Tribune, Le Monde, 11/09/18 – (2) Les Echos, 12/09/18.

 

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