A la Maison de Crowdfunding on sait joindre l’utile à l’agréable! Mercredi dernier, à l’heure de l’apéro, se tenait une conférence consacrée au musicien indé et à ses nouvelles implications. 10 min à pied du boulot, autant dire que je ne pouvais pas la manquer.
Ouvert depuis un an par KissKissBankBank, ce lieu a vocation à permettre la rencontre entre les porteurs de projets et leur public. C’est aussi un espace dédié à la pédagogie et aux discussions au sein des communautés créatives. En partenariat avec Usbek & Rica, la conférence a réuni 4 intervenants particulièrement concernés par le statut du musicien indépendant d’aujourd’hui: Barbara Carlotti, Jean-Benoît Dunckel (moitié de Air), Arthur Dubreucq (Kazy Lambist) et Claire Giraudin, directrice de Sacem Université.
Dans une ambiance aussi cool que pointue nous étions ainsi quelques dizaines à les écouter partager leur expérience et leurs observations sur la vie du musicien indé: Les contraintes organisationnelles, le coût de la liberté, le temps réduit consacré à la création, les choix parfois draconiens que ce statut implique, les nouvelles relations avec les partenaires et avec le public, etc. Je ne vais pas vous faire un compte rendu exhaustif de cette conférence, elle était filmée et KissKiss devrait mettre en ligne la vidéo prochainement. Mais parmi les sujets abordés, trois m’ont interpellé puisqu’ils sont au cœur de ce blog.
« Ce n’est pas sale »
Pour un musicien indépendant, vivre de son art signifie ne plus seulement se consacrer à la création artistique, mais aussi à tout ce qui va permettre de la faire connaitre, de la partager, et d’en vivre. En d’autres termes, il faut qu’il mette les mains dedans. Qu’on l’admette ou non l’artiste et son public entretiennent un double lien, émotionnel et financier. Le lien émotionnel, c’est la partie noble de la relation, on peut en parler avec subjectivité, fougue, exubérance ou mauvaise foi. C’est un lien essentiel, primaire, et souvent irrationnel. Le lien financier, c’est celui qui rend mal à l’aise, qu’on préfère ne pas voir, et que le public refuse d’ailleurs de plus en plus. Ce lien, bassement matériel et un peu tabou, est pourtant vital pour que la relation dure.
Être musicien indé, c’est mettre à jour les deux faces de cette relation, et ce n’est pas toujours très confortable. Quand Jean-Benoit Dunckel s’est intéressé au business de Air et à ses droits d’auteur, ce n’était certes pas évident aux premiers abords. Mais parce qu’il considère que « ce n’est pas sale » ou obligatoirement réservé à un partenaire, il a pu rééquilibrer une situation qu’il jugeait trop désavantageuse. A l’écouter on sent une certaine amertume envers son ancienne maison de disque, mais aussi la certitude que la rémunération ne doit pas être un sujet tabou et que l’artiste n’a pas à être mis à l’écart.
Même réflexion pour Barbara Carlotti, qui a financé son album grâce au crowdfunding : « C’était comme monter une petite entreprise » avec de nombreux partenaires à qui il faut proposer des contreparties en échange de leur soutien. Si possible intelligentes et dans le prolongement de l’univers du disque. Ce donnant-donnant, elle l’avait intégré dès le départ avec une ligne de conduite résumée en une excellente punchline: « Pour moi le crowdfunding ce n’est ni la prostitution ni la mendicité ». Elle aussi, elle a mis les mains dedans, et a dû parfois composer avec certaines réactions de personnes décontenancées par cette attitude. Son expérience montre bien qu’être indépendant c’est souvent bousculer le personnage parfois très fantasmé du musicien, et aussi révéler l’artisan derrière l’artiste. Montrer « ce qui se passe dans l’arrière cuisine », comme le rappelle Claire Giraudin de la SACEM, implique une relation différente entre l’artiste et son public, on doit tous s’y adapter.
« Il faut être aware »
Pour un indé, non seulement s’intéresser à tout ce qui entoure la création n’est pas sale, mais c’est surtout indispensable. Comme l’ont expliqué les trois musiciens, être indépendant, c’est faire beaucoup de choses soi-même, c’est devenir pluridisciplinaire. Le numérique et internet ont démocratisé le travail de production musicale, facilité la diffusion des œuvres, et fait naitre de nouveaux médias de promotion. Autant de changements qui ont redistribué les rôles des acteurs musicaux, à commencer par ceux de l’artiste. Et fatalement, de nouveaux rôles impliquent de nouvelles connaissances et une certaine vigilance.
C’est ainsi que Jean-Benoît raconte qu’il est est devenu « aware ». Heureusement pour nous, mieux vaut écouter Jean-Benoit parler de Air que Jean-Claude parler de l’air. C’est plus compréhensible… Parce qu’il insiste sur une qualité essentielle au musicien indé, la curiosité. Apprendre à décrypter ce monde de la musique peut prendre du temps. C’est un apprentissage qu’il a fait sur le tas, au fil des rencontres et des projets. Il faut donc s’impliquer un minimum pour comprendre le rôle exact des potentiels partenaires de l’artiste, ou ses différentes sources de rémunération. Surtout depuis que les ventes de disques se sont effondrées. Évidemment, les journées ne font que 24 heures, et l’artiste indé ne peut pas tout faire tout seul. Mais comme l’explique Barbara Carlotti, être aware, c’est aussi le meilleur moyen de déléguer en bonne intelligence, et non pas aveuglément. Voilà un message que je partage à 100%, notamment à travers ce blog.
Le value gap
C’est un des thèmes les plus transversaux du monde de la musique, il n’est donc pas étonnant que nos intervenants s’y soient confrontés à un moment ou à un autre de leurs parcours. Le value-gap, c’est ce phénomène inquiétant par lequel les créateurs voient la valeur de leurs créations captée par ceux qui les diffusent au public sur internet. Il en résulte un fossé particulièrement injuste entre les rémunérations qu’ils reçoivent et celles que touchent des intermédiaires géants comme Facebook, Twitter, ou Google avec Youtube. Pour plus de détails, vous pouvez consulter cet article.
Évidemment, pour ces sociétés habituées des optimisations en tous genres (fiscales, on en parle souvent), les droits d’auteurs sont un frein à leur développement, ils représentent un coût à réduire. Si les majors du disque parviennent tout juste à faire entendre leurs voix, les indépendants, eux, sont tout simplement inaudibles. C’est là que la gestion collective a son rôle à jouer, comme l’explique Claire Giraudin : « Les droits d’auteur contribuent à pérenniser une carrière, avec des rémunérations qui se prolongent sur plusieurs années. Il faut donc les défendre, parce que cette pérennisation est justement ce qu’il y a de plus difficile à atteindre ». Moralité, être indépendant implique de ne surtout pas rester isolé. Surtout quand des structures de poids existent, et surtout face à des géants pas tout à fait philanthropes.
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